À l’intérieur du mot

 

Cèlia Sànchez-Mústich

À l’intérieur du mot

Je l’ai vu au cinéma :
l’enfant, dans le film, découvre qu’il a peur
et se réjouit. Non pas d’avoir peur
mais d’avoir appris que ce qu’il ressent
s’appelle la peur. Ou que le mot peur,
qu’il a tant de fois entendu, c’est ça,
qui le secoue, en ce moment. (J’ai peur, j’ai peur !
crie-t-il en souriant, l’euphorie de la découverte
étouffant presque sa peur.)
Comme cet enfant,
j’ai si souvent entendu le mot trahison
comme si, à l’intérieur, il était vide, comme s’il entrait
par mes oreilles et restait là,
bouchon de cire, sans jamais arriver tout au fond.
Il a fallu attendre aujourd’hui :
je me retrouve dans un film,
la scène est si semblable à cette autre…
Je crie : on m’a trahie ! Et je me réjouis.
Pas de la trahison,
mais d’avoir appris que ce que je ressens
s’appelle avoir été trahie,
que je possède tout au fond.
où recevoir la trahison, en parcourir les contours
et après l’avoir oubliée, être un peu
plus heureuse qu’avant.

Interior de paraula

Ho vaig veure al cinema:
el nen, a la pellícula, descobreix que té por
i se n’alegra. No pas de tenir-ne
sinó d’haver après que del que sent
se’n diu por. O que la paraula por
que tants cops ha sentit, és allò
que ara el sotraga. (Tinc por, tinc por!
xiscla, somrient, gairebé la por extingida
per l’eufòria de la descoberta.)
Com aquell nen,
tants cops he escoltat la paraula traïció
com si per dins fos buida, m’entrava
per les orelles i allà es quedava,
tap de cera, sense mai arribar al fons del fons.
No ha estat fins avui:
surto en una pel·lícula,
l’escena és tan semblant a aquella altra…
M’han traït! Xisclo. I me n’alegro.
No de la traïció
sinó d’haver après que del que sento
se’n diu haver estat traïda,
que tinc un lloc al fons del fons
on rebre la traïció, resseguir-ne els contorns
i després oblidar-me’n, una mica
més feliç que abans.

Cèlia Sànchez-Mústich

Extrait de: On no sabem
Valencia: Tresiquatre, 2010

Catalan
Traduit par François-Michel Durazzo

Production audio: Catalunya Ràdio, 2019
Source : Lyrikline

 

 

Une réflexion sur « À l’intérieur du mot »

  1. Oui un mot est un monde
    Un mot contient tant et tant de sentipensants.

    Et un tableau, une musique sont tout autant un monde de sentipensants et de bouleversements universels Var partagés avec d’autres .

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