Poète, romancier, traducteur, Jean Portante est né en 1950 à Differdange, au Luxembourg, d’immigrés italiens. Alphabétisé en allemand, il parle italien à la maison mais y côtoie aussi le français.
Très tôt, il prend conscience qu’il n’appartient pas vraiment au pays où il vit, ni à celui de ses parents. Toute son œuvre est imprégnée de cette non-appartenance, au point qu’il n’écrit ni en allemand, ni en italien mais en français. Cette langue qu’il a apprise et continue d’apprivoiser et pour lui “une étrange langue”. C’est d’ailleurs le titre d’un de ses recueils couronné par le Prix Mallarmé.
Ce n’est qu’à trente-trois ans, après des études à Nancy et une carrière de professeur de français, qu’il vient à l’écriture. Aujourd’hui, son œuvre est riche d’une trentaine de titres. Il est aussi le traducteur de nombreux poètes de langue espagnole (notamment du poète argentin Juan Gelman), anglaise ou allemande.
à mon père
JE PENSE À CES HISTOIRES qu’on raconte
pour ne pas renaître
n’est-ce pas la qu’au réveil se ramassent
les morts du matin
morts à la fenêtre
rentrent-ils d’une infinie promenade
à travers l’herbe noire du jardin
va-et-vient d’un arbre à l’autre
et je dis arbre mais pense aux croix
rentrent-ils ou elles comme rentre le ciel
quand il renvoie la fumée de l’usine
ou la poussière encore rouge
déjà grise assombrissant les regards
des maisons
(in POINT, Collection G.R.A.P.H.I.T.I, EDITION PHI)
depuis que j’ai cessé de tutoyer l’infini
il n’est plus que l’ombre de lui-même
il y avait avant lui
cette ligne qui va d’un monde à l’autre
cette corde à laquelle tout funambule
espérait suspendre son espoir
j’ai cessé de tutoyer l’infini
et tout en m’excusant je vous demande
l’auriez-vous fait à ma place
si je n’en avais pas eu le courage
(in OUVERT FERMÉ, Collection G.R.A.P.H.I.T.I, EDITION PHI)
il y a des mots qui font plus d’ombre que d’autres
et d’autres qui coincés entre deux nuages
s’inquiètent avant l’orage
à quoi pense le mot quand il parle de l’éclair
et à quoi pense-t-il quand coincé entre deux nuages
il tarde d’éclairer les pages auxquelles il se destine
certains diraient le mot ne sait pas penser
mais le mot n’en tiendrait pas compte
(in OUVERT FERMÉ, Collection G.R.A.P.H.I.T.I, EDITION PHI)