C’est une histoire d’habitude, un réflexe mystérieux.
On sait que c’est là. Précisément où ? On ne sait pas, mais c’est
là !

On appelle ça l’Amour,
(Avec une lettre « majuscul » ?)

Ça peut se situer entre le pôle Nord t l’hypophyse, entre le sternum et l’île Perdue dans la baie de Roscanvel, au sud-ouest de la rade de Brest, entre la presqu’île de Quélern et l’île Longue, enfin, quelque part…

Envahi par le doute, j’aime le calme qui règne au milieu de ce paysage plat comme un bas-relief poli par l’érosion. La ville immobile quand rien ne bouge. Ou presque. Juste des petits mouvements à peine perceptibles. Quand rien ne bouge, apparemment.
À part les amants
Qui hululuent sous la couette
Comme les deux chouettes
Perchées sur une solive du clocher.

Ça fait cinquante jours qu’il pleut. Effet d’osmose. Toute la puissance de l’Univers est contenue dans ce bocal d’eau de mer. Le quartz de plus en plus lisse.

J’imaginais qu’avec le temps, je comprendrais mieux l’Histoire, mais on ne comprend jamais rien « mieux ». C’est binaire : on comprend ou l’on ne comprend pas l’histoire. Voilà tout.

Temps latent, j’attends. Tout autour de moi, le monde tourne sur lui-même. Toujours les mêmes craintes quand vient le soir, les mêmes devoirs, les mêmes contraintes, les mêmes jugements à l’emporte-pièce, les mêmes gestes, les mêmes analyses systémiques, les mêmes démonstrations mathématiques, les mêmes algorithmes, les mêmes protocoles à la con, la même conscience, la même inconscience aussi,
Les mêmes regards croisés, les mêmes envies inassouvies,
Les mêmes pulsions le cœur serré,
Les mêmes danses de Saint-Guy,
Les mêmes écrits publiés,
Les mêmes rédacteurs en chef sur des machines magnétiques,
Les mêmes agents complices,
Les mêmes saints de glace,
Les mêmes hystéries, les mêmes provocations pour la même presse à scandale (et le même raisin au pressoir),
Les mêmes cris de guerre affolés quand les bombes tombent du ciel, venues de nulle part, parce qu’un certain militaire en a décidé ainsi,
Les mêmes affaires froissées par terre,
Les mêmes mimiques sur le canapé,
Les mêmes araignées sur la canopée,
Les mêmes diablotins pervers et les mêmes anges déchus dans les couloirs de l’évêché,
Les mêmes jongleurs sur la place du marché,
Les mêmes erreurs,
Les mêmes ligaments croisés,
Les mêmes péchés capiteux,
Les mêmes chevaux harnachés,
Les mêmes dragons éméchés qui pissent du sang dans la rue entre un Kangoo et une camionnette tagguée,
Les mêmes nids de corneilles dans le grand peuplier,
Le mêmes peuples repliés sur leurs soucis au quotidien,
Les mêmes jeux de rôles,
Les mêmes nages crawlées dans des bassins carrelés,
Le même chahut, le même dégoût,
Les mêmes plaisanteries au réfectoire,
La même tautologie d’une évidence poétique qui vous submerge au-delà de la raison, parce qu’on veut à tout prix se faire plaisir quand ledit plaisir bascule en arrière comme un fantasme inaccessible…

Avec le temps
Les vieux singes ne font même plus de grimaces, ils n’ont simplement plus la force de se raccrocher aux branches,
Alors ils chutent
Et là…
Là,
Chut, ils se taisent.

Avec le temps on se raccroche aux racines comme pour anticiper la relation avec le sol et les vers, si l’on sait qu’on y sera enterré. Avec le temps, les détails perdent de leur importance. On ne devient pas aveugle pour autant, mais le vent et la pluie ont mangé la falaise des ambitions, alors, avec un certain fatalisme, on se dit : « Chacun sont tour », et l’on part faire une promenade après avoir sniffé une longue ligne de cocaïne.

Je pédale aujourd’hui pour rentrer dans mon troglodyte comme un petit bourgeois qui s’entretient. Je me déplace sur un tapis roulant dans un club de gym, à la déco moderne et aux vestiaires puants, un endroit sec où viennent suer tous les soirs des êtres inhumains abasourdis, des comptables et des infirmiers, des repris de justice et des Nippones en collant strecht, des starlettes de supérette et des avocats marsouins, des faux-frères et des tantes alcooliques, des maîtres-nageurs au bronzage suntan, des profs de fac en short et des anciens militaires, des filles de là-bas et d’autres d’ici, des femmes mariées et d’autres divorcées qui se disent que peut-être, les uns se font du mal, les autres se font du bien.

C’est un petit monde rempli de bonnes intentions physiques. Ce sont eux qui ont décidé de se reprendre en main, s’imaginant capables, en trois séances, de remodeler leur corps fibreux pour ressembler à leurs idoles ! Un casque sur les oreilles, en écoutant je-ne-sais-quoi, les yeux au ciel, soufflant, gémissant, ils éprouvent leur capacité à résister. Ils veulent « mieux », capables de pouvoir « mieux », plus et mieux. Monter, descendre, soulever des poids de fonte ou tirer sur des élastiques, pousser des barres ou déplacer des machines méchantes conçues par des ingénieurs métalliques excités par l’idée de rendre lesdites machines totalement imbattables.

Mal aux genoux.

« Séquences mémorielles en pointillés »,
Quand toutes les questions, quand toutes ces énigmes irrésolues, toutes les charades et devinettes laissent une empreinte indélébile, une race de malaise.
La nuit n en finit pas de limiter nos prouesses.

Pour le meilleur et pour le pire. Par définition, il n’y a pas de stratégie. La vie est une séquence d’énergie aléatoire.

Mon téléphone déconne. Je n’ai plus d’Internet. Depuis Bombay, l’interlocuteur indien de Verizon me dit que c’est un problème de câble. « On en aura pour plusieurs jours… » Il ne me donne pas d’autre d’explication. Je lui en veux. Je voudrais le voir monter au ciel en fumée sur le bûcher des Innocents. Les employés à distance ont une sacrée science du silence. Ils te laissent éructer, décrire ton problème en pleurant, sans moufeter. Ils sont là présents à l’autre bout du fil, mais ne répondent pas aux questions, à moins qu’ils ne miment leur réponse ?
Dans le fond, je suis certain qu’ils s’en moquent comme « on smoke de la fumée ». Perdre un client, so what ? Ils compenseront par des annonces publicitaires, et ils gagneront de nouveaux jobarts instead.

Chez moi, ce soir, au lieu de regarder un film sur l’écran plat de ton vieux computer, je travaille à ne rien faire, comme tout le monde, je fais des tonnes de choses inutiles qui se perdront dans les limbes des mémoires. Mais j’agis, oui j’agis, ne serait-ce que Pour me prouver à moi-même que je suis en vie.
Est-ce que je devrais prendre la corne du taureau par l’autre bout ?

Peut-être que je me trompe ?
Peut-être que tu me trompes ?
Tues loin, mais pourtant tu es là, quelque part. Je sais que tu es là, et je t’écris ce poème sans m’arrêter, sans te relire, comme si je te parlais.
Tu es loin, et pourtant tu es là, je le sais, tu es là, quelque part.

Là.

CharlÉlie Couture

Pour avoir vu un soir la beauté passer, Le Castor Astral