Jardins d’orangers amers
Jardins d’orangers amers au pied de la montagne, le ciel était un toit, le
passant un ami. Je traçais dans l’air des mots qui voulaient dire une histoire.
Les ans au passage les ont détruits pour donner à l’âne gris un collier de
coquillages et je n’arrive plus à démêler la douce nuit d’avec la lumière sonore.
Le bonheur jouait au bonheur sous les orangers de mon pays, mariée, belle mariée.
*
Ivre du grand parcours des fleuves, je porte et je te donne, mon amour, une
calebasse remplie de folies en haillons. Pour nourrir les oiseaux des fontaines,
les innocents de la terre, un soir d’été je m’appuyais sur le ciel incendié et volais
à la nuit sa première étoile. Depuis – racine aux sommets ravagés, nid de
tourterelles veuves – je me souviens d’années en allées – masque méchant de
l’amour boiteux.
*
En la maison la plus haute, toutes lanternes éteintes, un gardien borgne
escamotait mes yeux longs et soyeux éclaireurs, tandis qu’emporté dans les bras
lents de la rivière, enfant d’un rêve couleur d’été sur la plaine, mon amour avait
la douceur tranquille d’un désespoir sans rémission ni fin.
Laurice Schéhadé (Liban)
Jardins d’Orangers amers, GLM éditeur, 1959
De Jean -Pierre Siméon qui peut-être pourrait répondre ceci :
SAISONS
à Christophe
» Si je dis
les corbeaux font la ronde
au-dessus du silence
Tu me dis c’est l’hiver
Si je dis
les rivières se font blanches
en descendant chez nous
Tu me dis le printemps
Si je dis
les arbres ont poussé
leurs milliers de soleils
Tu me dis c’est l’été
Si je dis
les fontaines sont rousses
et les chemins profonds
Tu me diras l’automne
Mais si je dis
le bonheur est à tous
et tous sont heureux
Quelle saison diras-tu
Quelle saison des hommes ? »
Et ce qui me hante aussi :
Aprés la saison des pluies
Voilà l’hiver européen qui vient
L’exode là devant nos yeux
Les exodes continueront
En attendant un printemps
Humain très humain
Vert de primevères sauvages & libres
Et jaune de boutons d’or
Et marguerites, pâquerettes , pensées
Pensées sauvageonnes & indomptables , libres aussi
Un printemps de frères & sœurs
Humains trop humains
Liberté, j’écris ton nom…
Pour un été sans naufrage
Ni cimetières marins saturés
Et un automne de renouveau
Sous les feuilles mortes mais humus fertile
Les flamboyants de là-bas
Les jacarandas
Les orangers et oliviers
Les figuiers audacieux
Poussant dans les failles des murs et les roches dures
Pour des dentelles de nuages,
tissages soyeux,
Et autres métissages heureux
Ici & Mains Tenant
V