Il y a un bruit…

 

Georges Perros
Il y a un bruit près de chez moi
Comment pourrai-je m’en passer
Celui de l’homme c’est la voix
Que je connais trop bien, assez.
Un bruit qui ne vient pas des hommes
Les hommes sont mes compagnons
Ce bruit qui vient de nulle part
Me rend bien fou quand je l’entends
Il ne ressemble à rien d’humain
Quoique les hommes de toujours
L’aient entendu.
Homère en parle avec génie
Il ne ressemble à rien d’ici
C’est un bruit féroce et têtu
Parfois plaintif comme une femme
Parfois meurtrier, je le nomme
Celui du flux et du reflux
Que fait la mer en mon oreille
La mer qui ne ressemble à rien
Que l’on regarde sans savoir
Ce que cache cette merveille
Pourquoi ce bruit m’enchante-t-il
Ce n’est pas demain ni après
Que je pourrai le dire, vrai
Je n’en sais plus long que personne
C’est que ce bruit à l’indicible
Dans la peau, comme nous avons
Ce sang qui coule dans nos vaines
Sang bleu quand d’ici on le voit
Sous l’épiderme il est sournois
Sang rouge quand on y va
Un peu plus fort qu’il ne faudrait
La mort est près de nous si près
Qu’on fait semblant d’être des hommes
Il suffit d’une simple aiguille
Pour que le cœur donne son nom
Au dernier fil de la quenouille.
Moi je ne suis qu’à la fenêtre
Je l’entends battre ses canons
Qui bouleversent l’horizon


Je ne suis qu’un homme, peut-être
Une vague en sursis mouvant
A me casser ce que la tête
Laisse suspendue par-delà
Toute raison où mieux se pendre.
Homme instance de poésie
Ferme les yeux pour mieux la voir
Celle qui blesse ton regard
Celle que tu nommes ta vie
Et qui ne te rendra ses billes
Qu’au bout du grand aveuglement
Qu’au bout de ce monde en dérive
Là-bas, dans le soleil levant.

Georges Perros