Il est vrai qu’il n’y a pas assez de beauté dans le monde

 

Louise Glück
Il est vrai qu’il n’y a pas assez de beauté dans le monde.
Il est vrai aussi qu’il n’est pas de ma compétence de lui en redonner.
Je suis
au travail, bien que silencieuse.
La fade
misère du monde
nous serre de chaque côté, comme une allée
bordée d’arbres ; nous sommes
ensemble ici, sans parler,
chacun dans ses pensées ;
derrière les arbres le fer forgé
des portails de maisons privées,
pièces aux volets fermés,
l’air désert, abandonné,
comme si l’artiste avait
le devoir de créer
de l’espoir, mais avec quoi ? avec quoi ?
le mot lui-même,
faux, un artifice pour réfuter
la perception – À l’intersection,
les lumières ornementales de la saison.
J’étais jeune alors. Voyageant
en métro avec mon petit livre
comme pour me défendre
contre ce même monde :
tu n’es pas seule,
disait le poème,
dans le sombre tunnel.
It is true there is not enough beauty in the world.
It is also true that I am not competent to restore it.
Neither is there candor, and here I may be of some use.
I am
at work, though I am silent.
The bland
misery of the world
bounds us on either side, an alley
lined with trees; we are
companions here, not speaking,
each with his own thoughts;
behind the trees, iron
gates of the private houses,
the shuttered rooms
somehow deserted, abandoned,
as though it were the artist’s
duty to create
hope, but out of what? what?
the word itself
false, a device to refute
perception-At the intersection,
ornamental lights of the season.
I was young here. Riding
the subway with my small book
as though to defend myself against
this same world:
you are not alone,
the poem said,
in the dark tunnel.

Louise Glück

October (poem)The New Yorker (28 October 2002) – Poème cité dans le livre de James Longenbach, La résistance à la poésie (Editions de Corlevour, 2013) – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Vajou

 

 

Une réflexion sur « Il est vrai qu’il n’y a pas assez de beauté dans le monde »

  1. Merci.
    Pour ce poème de Louise Glück .

    Par les temps qui gisent
    Par les temps qui courent
    Par ces routes calcinées
    Par ces chemins abrupts
    Et toutes ces voies sans issues

    Il nous reste la force
    D’en arriver là où l’on devait être

    Les pertes et leur cortège de deuils à l’œuvre
    Parce que l’on n’a pas le choix : c’est écrire comme on tiendrait le gouvernail pour ne pas couler .

    Les giflés , les abattus , les bienheureux aussi, les disparus, leurs fantômes et autres revenants n’ont pas dit leur dernier mot.

    Outre-mères
    Les deux ensemble
    Désormais vont faire connaissance
    Là où nul n’est revenu pour nous raconter comment  
    « ça se passe ».

    Outre-mères
    Leurs vies n’auront pas été vaines
    Elles se racontent ce que je suis devenue.

    Se dire comme Louise et son livre -paravent , que ces carnets dans lesquels j’écris depuis toujours sont eux aussi un paravent pour continuer à dire et avancer dans ce même monde
    Le Tout Monde d’Edouard Glissant me tient entre les pages

    Les voix des amérindiennes restent encore en suspension…
    Et confidentielles
    Les partitions sont distribuées en cadence
    Un jour elles , ces lucioles , ne seront plus en voie de disparition.

    L’autre Louise , la Résistante l’amérindienne , l’écrivain -libraire nous donnait de l’espoir en ce petit matin de soleil face aux montagnes qu’il est pour l’instant impossible de mettre sous cloche.

    Voix des « minorités »
    Outre-Atlantique
    Que l’on vous écoute !
    Ce n’est pas une raison
    Pour en rester là

    Invictus.

    Outre-mers
    Outre-tombes
    Outre-océans
    Voix en suite de Bach,
    Ou en poursuite d’authenticité
    Voix des pères
    En quête de paix
    Pour l’inconnu futur.
    Or
    Il n’y en a qu’un
    De père .
    Il n’en reste qu’un .
    Son cœur a tenu bon
    Malgré la perte printanière
    D’avant l’enfermement viral.

    Mais jusqu’à quand ?
    Ce père en son jardin
    N’est plus si vif
    Mais il raisonne encore
    Et il rit et il dit toujours l’essentiel.
    Et enfin , il entend mes mots
    Il les reçoit en
    Hommage à sa culture.

    Transmission réussie .

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