Fin du monde

Fin du monde

Je suis le cri et la blessure, je suis la femme à ton flanc qu’on outrage et
qu’on viole.

L’Apocalypse t’enchaîne à son char, l’horreur te lie les mains, amour,
amour, qui t’a crevé les yeux ?

Mon cœur de paix violente, je te l’avais donné, plus nu que mon corps.

J’ai des caresses ruisselantes, la mort et les larmes sont mes parures.

Mon âme, sous un feu si noir, sèche comme le sel, et ta soif s’y pose,
bel oiseau fou.

Amour, amour ; ni pain, ni jour, la terre flambe, l’éclair s’étend entre
nous, malédiction !

Le feu lâché, bête infinie, l’âge de la terre se rompt par le milieu.

Tout l’horizon, bel anneau bleu, d’un seul coup, se raye à jamais, ceinture
de roc tordue. Passé, avenir abolis, règne le présent, vaste empire des
furies : l’agonie du monde se fonde, démence au poing.

Au centre de la femme germent l’ange-poisson, la licorne aveugle et mille
fougères bistres, pour fleurir de vastes plaines sans air, ni eau, absence
aux crosses brûlées.

Toute enfance annulée, notre fils, comme du sable, est entre nos doigts.

Souviens-toi. Encore un peu, souviens-toi ; nos mains jointes ensemble.
Souviens-toi ! L’injustice roule un flot de boue. Tendre mémoire craque
à nos tempes.

Tes yeux, tes yeux sur moi, le ciel se déchire de haut en bas, l’effroi dessine
un tableau vide.

La fièvre court en ce désert, tremble la terre, vieille échine broyée.

Tes mains, tes mains sur mon cœur, encore un peu de temps, un peu de temps,
folle prière.

Le sang dans tes veines fait des bonds terribles, se change en monstre, toute
fureur moquée, entends ce rire énorme secouer mille forêts abattues.

Ta bouche sur la mienne, viennent la poussière et la cendre ; amour, amour perdu.

Haine et guerre, souviens-toi, souviens-toi, amour blessé, quelle longue jarre
fraîche à ton flanc renversée, c’était l’été.

Grondent les hivers noirs amassés ; ta force, ta force ami, qui t’as désarmé, te
prennent le cœur comme une fronde ?

Et toi et moi, et moi et toi, et toi avec moi ! Vivre ! Nous sortirons de ce puits,
la mort n’a pas si grand visage qu’elle barre l’entrée à jamais.

Le silence pousse dans ma bouche comme une herbe. Tous les mots, un jour,
me furent livrés. Ne trouve que ce cri.

Maison pillée. Cœur ouvert. Dernière saison. Plus que ce cri en plein ventre.
Fontaine de sang. Cri. Qui te rappelle en vain, amour tué.

Anne Hébert

In, « Pour la paix. Les plus beaux poèmes »
Editions Messidor / Temps actuels, 1983

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