Hâtons-nous de rêver, car voici que se dresse
L’ombre qui vers midi couche au revers des monts.
Le crépuscule est une suprême caresse
Une exaltation de ce que nous aimons.Sa lumière a doré le ciel comme une joue
Appuyée à la terre et dans les abreuvoirs
Coule. Sur de vieux bancs les amitiés se nouent
Douce comme l’accueil aux pèlerins le soir.Moi, je pressens la nuit, l’angoisse, le silence,
L’aube noire qui va monter à l’horizon
Par trop d’intimité glacer les confidences,
Bâtir autour de nous les murs d’une prison.
Les derniers vagabonds se hâtent, pris de crainte,
Comme une peuple la mer prompte à se soulever
Gronde. Les chiens errants chassent la lune éteinte
Autour de moi j’entends une émeute couver.
De la ville lointaine au toit de la baraque
Tout geint dans une absurde et funèbre oraison.
Sous les portes, le vent siffle, les planches craquent
Et ceux qui s’endormaient rêvent à leur maison.
Antoine de Saint-Exupéry