Rêves en désordre

Rêves en désordre

Je rêve d’îlots rieurs et de criques ombragées
Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit
Je rêve de villages blancs bleus sans trachome
Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux
Je rêve de protection pour les forêts convalescentes
Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies
Je rêve de vagues blondes éclaboussant les pylônes
Je rêve de derricks couleur de premier mai
Je rêve de dentelles langoureuses sur les pistes brûlées
Je rêve d’usines fuselées et de mains adroites
Je rêve de bibliothèques cosmiques au clair de lune
Je rêve de réfectoires fresques méditerranéennes
Je rêve de tuiles rouge au sommet du Chélia
Je rêve de rideaux froncés aux vitres de mes tribus
Je rêve d’un commutateur ivoire par pièce
Je rêve d’une pièce claire par enfant
Je rêve d’une table transparente par famille
Je rêve d’une nappe fleurie par table
Je rêve de pouvoirs d’achat élégants
Je rêve de fiancées délivrées des transactions secrètes
Je rêve de couples harmonieusement accordés
Je rêve d’hommes équilibrés en présence de la femme
Je rêve de femmes à l’aise en présence de l’homme
Je rêve de danses rythmiques sur les stades
Et de paysannes chaussées de cuir spectatrices
Je rêve de tournois géométriques inter-lycées
Je rêve de joutes oratoires entre les crêtes et les vallées
Je rêve de concerts l’été dans des jardins suspendus
Je rêve de marchés persans modernisés
Pour chacun selon ses besoins
Je rêve de mon peuple valeureux cultivé bon
Je rêve de mon pays sans tortures sans prisons
Je scrute de mes yeux myopes mes rêves dans ma prison.

Bachir Hadj Ali (Algérie)

(« Que ma joie demeure !  » – éditions Oswald, 1970 et l’Harmattan, 1981)

3 réflexions sur « Rêves en désordre »

  1. Échos à , et de « Que Ma Joie Demeure »
    Jean Giono ,Grasset
    1935
    Extraits:
     » Le temps ne presse pas. Espérer fait peut-être vivre.
    Maintenant les étoiles étaient dans toute leur violence. Il y en avait de si bien écrasées qu’elles égouttaient de longues gouttes d’or . On voyait les immenses distances du ciel. »

     » La jeunesse, dit l’homme , c’est la joie.Et, la jeunesse, ce n’est ni la force, ni la souplesse, ni même la jeunesse comme tu disais : c’est la passion pour l’inutile . »

     » C’était un visage qui donnait de la gravité et de la pureté à tout. »

     » Je te jure que ça te fait quelque chose quand un homme se confie à toi pour que tu le soignes. »

     » Elle avait beau rêver plus loin que la vie, elle n’apercevait pas d’espérance. »

     » Le combat, dit-il, ne cesse jamais. Voilà ce qu’il faut savoir. Le mystère c’est commode pour se reposer. C’est un mystère; il n’y a rien à faire; repos! Non. Jamais de repos. Une bataille jusqu’à la fin du monde. »

     » c’est ce que vous donnez qui vous fait riche »
     » Vous n’avez pas d’autre grange que cette grange-là, dit-il en se frappant la poitrine . Tout ce que vous entassez hors de votre cœur est perdu ».
    Véronique

  2. Je leur ai promis d’écrire un  » quelque chose  » , quelques lignes de mots sans jérémiades ( surtout pas ), geindre serait obscène, car nous pouvons avoir encore le choix de la démocratie, puisque nous élisons nos présidents .

    Ce serait donc une suite aux rencontres bouleversantes et denses lors de L’Escale du Livre 2017, je ne pouvais faire taire mon cœur qui se serre à faire mal, très mal , après la énième nouvelle à la radio ( je ne veux plus depuis longtemps regarder la TV) d’un massacre de civils en Syrie , où le dictateur et ses sbires bourreaux d’holocauste, gazent toujours dans les rues et vont jusqu’à égorger dans les lieux de soins & bombarder les hôpitaux .

    C’est donc deux syriens : Nouri Al -Jarrah et aussi Abdulrhaman Khallouf que je vais citer ( hélas pas totalement ) pour donner envie de les découvrir; corps & voix , voix tendres & poétiques.

    Nouri Al -Jarrah , en exil depuis trente ans à Londres et dont la voix nous renvoyait dimanche matin à celle de Mahmoud Darwich:

    Éclair aux Fenêtres
    I / Aujourd’hui j’ai visité ta demeure
    Le portail était détruit et tes petites fleurs sur les bordures se courbaient au souffle du vent
    La pluie oblique, m’a tatoué le visage,
    Est-ce l’obscurité de la demeure ou celle du ciel ?
    Mon sourire sanglant est le don du jour contre ta longue absence .
    […] Les débris des rires chagrinent le cœur des passagers.[…]
    Le bruit , vagues apeurée, collision de barques avec des rochers qui geignent,
    Palpitation de pas et pantalons mouillés
    Filles et garçons envoyés par Poséidon du royaume des naufragés drapés d’algues riantes.
    Quels sont tes invités portés par les vagues, vivants et assassinés.[…]
    Une Barque pour Lesbos et autres poèmes , traduit par Aymen Hacen
    Les éditions Moires
    ~~~~~~~~~~~
    Abdulrhaman Khallouf
    En exil depuis 2002 en France.
    Regard clair et voix posée & attentive aux autres voix .

    Ils me disent de prendre garde à la nostalgie, qu’il ne faut pas l’écouter. Ils disent que j’ai fait le bon choix et que rien ici ne vaut la peine de rester.

    Montpellier 2010
    […] Depuis quand je suis ici ? J’étais où avant? […]
    J’apprends à mes yeux à ne plus voir tout ce qui peut me rappeler la Syrie.
    Je ne parle pas l’arabe avec mon fils.
    C’est comme si je le protégeais de ce que je ne dois pas dire et qui pourrait passer involontairement dans les mots arabes.[…]

    En dehors des murs des maisons en Syrie, tout est miné.[…]
    Des yeux invisibles regardent tout. Des mains invisibles peuvent surgir à tout moment et enlever tout ce que vous pensez posséder , votre corps inclu.
    […]
    Des villes souterraines et des tunnels secrets dessinent la nouvelle géographie d’un pays devenu l’enfer sur terre. La folie de la guère invente chaque jour une nouvelle forme de cruauté. Rien n’est inimaginable . Des cannibales, des mangeurs de cannibales.[…]
    Plus de douze millions de syriens ont quitté le pays pour aller se réfugier ailleurs. A présent , il y a deux Syries, celle de l’intérieur et celle de l’extérieur .

    Ne parle pas sur nous
    Éditions Ici&Là

    Et dire que la plupart des dictateurs de l’histoire mondiale , et tous ces tortionnaires sanguinaires sont morts tranquillement dans leur lit…

    Véronique C Chastelier

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