Dans ma rue depuis des années
j’entends des pas : mes amis s’en vont.
Le lent départ de mes amis convient
à l’obscurité derrière la vitre.
Mes amis ne s’occupent plus de rien,
chez eux plus de musique ni de chants,
et seules les fillettes de Degas
lissent encore leur plumage bleu.
Mais pourvu que la peur ne vous réveille pas
désarmés au milieu de cette nuit.
Une passion étrange pour la trahison,
mes amis, vous embrume les yeux.
Solitude, ton caractère est rude !
Faisant luire l’éclat de ton compas de fer,
si froidement tu refermes le cercle,
sans écouter les promesses vaines.
Appelle-moi et récompense-moi !
Cajole-moi, ainsi choyée
je me consolerai, pressée contre ton sein,
ton froid d’azur me lavera.
Laisse-moi me dresser sur la pointe des pieds
dans ta forêt, au bout d’un geste ralenti
trouver des feuilles qui toucheront mon visage
pour sentir le délice de mon abandon.
Offre-moi le silence de tes bibliothèques,
les thèmes rigoureux de tes concerts :
devenue sage, j’oublierai les morts
et ceux qui sont toujours en vie.
Je connaîtrai la sagesse et la peine,
chaque chose me confiera son sens caché.
Prenant appui sur mes épaules, la nature
m’apprendra ses secrets d’enfant.
Alors, du fond des larmes, de la nuit
et de la pauvre ignorance du passé,
les merveilleux visages de mes amis
m’apparaîtront avant de s’effacer encore.
Bella Akhmadoulina, Histoire de pluie et autres poèmes, (1959)
Traduction Christine Zeytounian-Beloüs