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Chœur des orphelins
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
on a abattu notre branche
et jeté dans le feu –
de nos protecteurs on a fait du bois pour se chauffer –
nous les orphelins reposons dans les champs de la solitude.
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
dans la nuit nos parents jouent à se cacher de nous –
derrière les draperies de la nuit
leurs visages nous regardent,
parlent leurs bouches :
bois mort nous fûmes dans la main d’un bûcheron –
mais nos yeux sont devenus des yeux d’ange
et vous regardent,
à travers les noires draperies de la nuit
ils vous voient –
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
pierres avons nous maintenant pour jouets
pierres qui ont des visages, visages de père et mère
elles ne se fanent pas comme les fleurs, elles ne mordent pas comme les bêtes –
et elles ne brûlent pas comme du bois mort, quand on les jette dans le four –
nous les orphelins
nous portons plainte contre le monde :
monde pourquoi as-tu pris nos tendres mères
et les pères qui disent : mon enfant comme tu me ressembles !
nous les orphelins nous ne ressemblons plus à personne au monde !
Ô monde
nous portons plainte contre toi!
Nelly Sachs
in Chœurs d’après minuit, Dans les demeures de la mort. 1947.