« Toutes les misères de l’homme lui viennent de ce qu’il ne peut rester seul dans sa chambre”, a écrit Pascal. Et si par hypothèse je ne pouvais moi non plus rester dans la mienne ? A compliquer ainsi les choses, n’étais-je pas tout simplement insensée ? Pierre qui roule n’amasse pas mousse, et ma vie serait sans objet si je me contentais des emplois bouche-trou que je pourrais bien trouver par-ci par-là. Étais-je bien assurée de ne vouloir en aucun cas “réussir”, dans l’acception générale qu’on donne à ce terme ? Ne ferais-je pas mieux de me marier, comme les autres, et de me consacrer à mon foyer ? Les hautes ambitions que je n’osais trop ouvertement formuler ne fondraient-elles pas comme neige au soleil dès lors que l’amour donnerait un sens à ma vie ? Pourtant, chaque fois que j’avais cru avoir le coup de foudre, je n’avais guère tardé à constater douloureusement que ce dont j’étais amoureuse, c’était l’idée que je me fais de l’amour.
« Aussi, en dépit de ma belle assurance et de tout mon désir d’accomplir de hauts faits, ne pouvais-je que me méfier de moi-même avec le sentiment de profonde angoisse. Ne fais pas un gâchis de ta vie, des qualités que tu as reçues en naissant, me soufflait une voix intérieure. Veille à ne point avoir honte de toi quand viendra l’instant de ta mort.
« Ces pensées m’ont portée bien loin de la Manche. L’œil réconfortant du phare ne va guère tarder à me faire signe, et après avoir consulté la carte il ne me restera plus qu’à modifier la route pour mettre le cap sur l’entrée du port. »
Ella Maillart
La Vagabonde des Mers, Ed. Paillot