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L’écriture est un incendie

« Mais il n’y a pas que l’éloignement pour accentuer ma rupture avec Paris et la rendre sensible. Au début, en 1917, quand je m’éloignais pour cacher ma joie de vivre car mon amour était tel, Raymone, que je craignais de tomber foudroyé, je ne poussais pas plus loin que la forêt des Landes. Ce n’est que petit à petit et par une longue pratique de l’automobile, au fur et à mesure que les voitures se perfectionnaient, quand on put enfin faire de la vitesse, de la vitesse pure, que je compris que je me dépouillais insensiblement de tout en fonçant dans l’inconnu car à quoi peut-on comparer la vitesse sinon à la poussée lente de la pensée qui progresse sur un plan métaphysique, pénétrant, isolant, analysant, décomposant tout, réduisant le monde à un petit tas de cendres aérodynamisés… et reconstruisant magiquement l’univers par une formule fulgurante… cette illumination qui redonne vie : Le monde est ma représentation.

« Ce que tu m’as dit de ta nuit, du ciel, de la lune, du paysage, du silence a dû ranimer en moi des réminiscences similaires… Et alors, j’ai pris feu dans ma solitude car écrire c’est se consumer… L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamber des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres.

« Cette rupture avec Paris et son intelligentsia me faisait parfois peur car je ne suis pas un contempteur du monde, tout au plus de la connerie, et encore, parfois elle me réjouit ! Peut-on reculer dans le futur ? L’éloignement dans l’espace est comme un recul dans le temps. J’ai si souvent vécu aux antipodes que j’en suis arrivé à juger des œuvres de mes contemporains sans indulgence. Ce n’est pas du mépris. Je ne suis pas un pion. Mais lire à l’ombre d’une termitière ou installé le plus confortablement possible entre les racines aériennes d’un pilocarpe (tout en se méfiant des serpents) c’est lire comme la postérité le fera avec beaucoup de détachement et une soif ardente de connaissance. »

Blaise Cendrars
In L’homme foudroyé, Éditions Gallimard.