
la croyant jeune fille encore,
mais elle était mariée.
presque par engagement.
Les réverbères s’éteignirent,
et les grillons se mirent à chanter.
Aux dernières ruelles,
je touchai ses seins endormis,
et soudain ils s’ouvrirent
comme des bouquets de jacinthes.
L’amidon de sa jupe
bruissait à mon oreille
comme un morceau de soie
déchiré par dix couteaux.
Sans lumière d’argent aux branches,
les arbres grandissaient,
et une rumeur lointaine de chiens
aboyait au loin, vers le fleuve.
Passées les ronces et les roseaux,
et les buissons d’épines,
sous sa crinière de cheveux,
je creusai un lit dans le limon.
Elle se défit de sa robe.
Moi, la ceinture avec le revolver.
Elle, de ses quatre corsages.
Ni nard ni coquillage
n’ont une peau si douce,
ni les verres sous la lune
ne brillent d’un tel éclat.
Ses cuisses m’échappaient
comme des poissons surpris,
mi-chaudes, mi-glacées,
mi-feu, mi-givre.
Cette nuit-là, j’ai parcouru
le plus beau des chemins,
monté sur une jument de nacre,
sans brides ni étriers.
Je ne dirai pas, par homme,
les mots qu’elle me confia.
La lumière de la conscience
me rend très réservé.
je l’ai emmenée du fleuve.
Et les glaïeuls agitaient au vent
leurs lames d’épée.
Je me suis comporté en homme.
En vrai gitan que je suis.
Je lui ai offert un coffret à couture
grand, en satin couleur paille,
et je n’ai pas voulu m’éprendre,
car, bien qu’ayant un mari,
elle m’avait juré
qu’elle était jeune fille
quand je l’ai menée au fleuve.
Federico García Lorca
La casada infiel (La mariée infidèle), in Romancero Gitano> (1928)