Quatuor en M, Mahdia
Sur le portique les pêcheurs guettent
le passage des mulets migrateurs
La forteresse est à la fête
touristique Bezness est à l’heure
La mer du Cap Africa a brûlé
de feu noir des sépultures puniques
Dans l’épervier froufroutent des mulets
Au cimetières ses rumeurs magiques
Et la mémoire se perd dans les ruines
Le moulin à vent Alhambra le phare
Le jasmin nuptial dans la grotte marine
Face au Vieux-Port gît ta barque César
A ton épaule la muraille cendrée
La prison au flanc de la forteresse
Rumine des psalmodies encadrées
de mosquées gardiennes de vieillesse
Presqu’insulaire mon vieux corsaire
Ton corps d’écumeur c’est la ville
En haute mer n’est-elle ton repère
Mahdia la Conquérante de l’an mil
– Mahdi, qu’as-tu fais de ton frère, dis ?
– Homme, il a franchi la frontière
Tel Abel ou Rémus, il m’a maudit
Mon glaive couvre la terre entière
Elu j’ai élevé le Porche
Obscur vestibule de ma ville
Garni de meurtrières de tours à torches
et d’herses ses guets de grès et d’argile
C’était un îlot refuge de pirates
J’ai rallié son occident au grand champ
Sous le signe du lion et de la quête
Je l’ai entouré de remparts tranchants
Moi souverain d’Ifriqiya et de Sicile
Califa de Kairouan et des croyants
Mahdia mon invincible Ville
Commande par la foi à tout l’Orient
Mon palais a ses jardins sur la mer
Mes corps de métier mes voisins le jour
A l’autre ville ils s’en vont au soir
A Zaouila le verger de l’amour
Dans ma capitale de Mahdia tranquille
Ma Grande Mosquée a le dos dans l’eau
Rive gauche j’ai doté ma ville
De citernes magasins et silos
Tout autour veillent les sentinelles
Les rues circulaires à la mosquée
Mènent leurs essaims de sujets fidèles
Ils prient dans les ombrages terraqués
Ville Conquérante l’Invincible
Mahdia ma Cité-aux-deux-croissants
Vers le Levant oriente ses cibles
De Bagdad et Samarkande ses maçons
Sublime la mosaïque de mes palais
Ni romaine ou byzantine
Mais ismaélienne dans ses allées
Mes derniers affranchis la dessinent
Les fioles de mes verreries à Cordoue
Ornent le diwan privé du prince
Nous Fatimides sommes d’un abord doux
Chevaliers d’Allah sobres et minces
Mansour en guerre depuis des lunes
Au Porche pend le Kharijite empaillé
Cet Homme-à-l’âne ce chameau sans dunes
Voulait mes casernes encanaillées
Il a assiégé ma Conquérante
De l’été au printemps par les moissons
Il a souillé mes chemins de menthe
Mais jamais il ne foula mes maisons
Mes bâtiments rentrent de Mazara
Cales chargées de marbre de Carrare
Je vais me marier avec Manara
Et j’offrirai mille felouques de riz
Rive sud vers le port sont les joailliers
Leurs bijoux de saphir et d’émeraude
Sont pour ses doigts de grâce dans nos foyers
La rue dansera avec ses blondes
Nous rassemblera la Grande Mosquée
Avec ses bassins et ses pendules
On nous bénira des mihrabs stuqués
Entre piliers et toits à tuiles
Notre descendant le Califa Mu’îz
Fondateur du Caire en tous ses remparts
A confié nos trésors aux banquises
Mahdia fut sanhajite berbère
Puis passèrent sur mon corps dans mes viscères
le Normand le Maltais et l’Espagnol
Mon nom fut un forçat de galère
La païens se soûlèrent à mes fioles
Sinan Pacha a rouvert mes marchés
Mes chepeks partent à Alexandrie
Mon consul au port répond à Raché
Et mon bijoutier s’appelle Masri
Ils vont à leurs salons les janissaires
Turcs Albanais ou bien d’Anatolie
Vêtus de soie blanche ils sont tout fiers
Devant leur club ancre Rhaïs Mili
Mili de Milos Morali de Morée
Preneur de poisson-lune Zaouali
Ta Zaouila est à la Porte Dorée
Et Mahdia le bien des Bendali
Ses fakirs ses marchands et ses gourous
Ses tisserands de soie et de laine
Ont subi l’affront au temps du dourou
Ses citadins dormeurs de la haine
De Trapani vinrent les Trapanis
Pêcher le loup d’Alhambra
Les carreaux en faïence de Tunis
Tapissèrent vérandas et caméras
Face au port le quartier sicilien
Se prolongea vers la rive gauche
Nino Marino noua d’autres liens
Il parla droit aux rougets de roche
Les rougets ramèrent le vaisseau
Ils mirent l’étoile à la voile
Le croissant rougeoya haut sur les eaux
Et Mahdia calfeutra sa cale
Elle a grandi la ville d’al Mahdi
Je me sens perdu du côté de R’mal
Les chantiers ferment que vendredi
Je marche sous le sable et j’ai mal
Moi qui pêchais les nuits d’hiver le loup
à Cargorya devenue le jour
la Gare Centrale fief à filous
Les promoteurs cimentent alentour
A l’immobilier ses nababs pardi
Mon ami est mort avec le mérou
Je vends du chien par tranches le lundi
Sous tous les klaxons des machines à roues
Marino est parti Nino lui-même
Et j’ai vu vite rentrer de Trapani
Si vieilli le pêcheur Boukhchem
Baiser terre-Mahdia le banni
Je bois de la bière mais le commissaire
Me dit de déguerpir sans tarder
Je m’en vais errer dans le cimetière
Parmi de vieilles anglaises fardées
Je ne veux plus sortir du Porche Obscur
Les jardins sont des villas bétonnées
Il y a les offices mais le plus dur
Ce sont les hôtels sur toute la baie
Hôtel Mahdi hôtel Cap Mahdia
Je n’ose même plus murmurer ton nom
Hôtels El-Bordj et Tapsus, Manara
Ce n’est pas là qu’on prendra le canon
Ni au Neptune ou à l’Espadon
Ni au Lido avec vue sur le port
J’ai la nostalgie et te dis pardon
Ma ville me manque alors que j’en sors
Et j’ai vu Mahdi la nuit à la gare
Qui prenait la voie de l’exil au nord
Et tu pleurais sous les jets de phare
Mansour est en mer et Mu’îz sans or
Elle m’a quitté la maison de ma mère
Ma vieille ville n’a plus ses habitants
Ses marins sont de l’intérieur des terres
Migrants comme mulets du bon vieux temps
Mes garçons sont pêcheurs à Mazara
Sur une carcara qu’on dit rentable
C’est la vie ô ma tendre Manara
J’ai le coeur gros et je broie du sable
Ma ville enserrée d’une autre ville
Qui a pour nom Hiboun R’mal E’Zahra
Surfaite à l’air bourguibienne elle
a ses garages et ses villas
C’était du faubourg proche et rural
Quadrillé de routes et d’impasses
Là fut construit hôpital régional
Police et Justice s’y font face
Les dames fonctionnaires vont et viennent
Entre corniches et conserveries
Les bureaux d’impôts ceux de la douane
Le lycée et plusieurs maçonneries
La prison n’est plus dans la forteresse
Mais en plein air parmi les oliviers
Les cafés ont des vastes terrasses
Et bientôt devant seront des viviers
La mer meurt et il n’y a plus les pêcheurs d’antan
Les chalutiers viennent d’Italie
Mahdi à Chaca que viennent les Beurs
Ouïr le crieur public Zaouali
Ah je nage dans le béton en rond
Sur les ruines émergées de la mer
Le corps en prise avec Charon
La mémoire blessée à ses amers
Je me souviens des vasques de palais
Des piliers des temples et des arcades
Des crinières de mon coursier mantelé
Eclair sur les pavés des esplanades
J’ai mal aux pendules de la mosquée
Mal aux bestiaires de mes mosaïques
Mes calligraphies sont soldes truquées
Dans le souk des guides touristiques
Je rentre amer au Porche Obscur
M’en vais droit sur la tombe de mon père
Et solitaire je rase les murs
J’esquive mon ombre Place du Caire
Je traverse ma ville à la hâte
Avant l’assaut des hordes touristiques
J’ai l’amour de Manara plein la tête
Et je mange la pierre des portiques
Je vais au Cap Africa scruter la mer
Cueillir le sel d’une fosse antique
Mahdia rengaine de ma mère
Dame des Marins et ma voix épique