Mélancolie

À Domingo Bolivar

Rubén Darío

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Mélancolie

Frère, toi qui possèdes la lumière, dis-moi la mienne.
Je suis comme un aveugle. Je vais sans but et je marche à tâtons.
Je vais sous les tempêtes et les orages
Aveugle de rêve et fou d’harmonie…

Voilà mon mal, Rêver. La poésie
Est la camisole ferrée aux mille pointes sanguinaires
Que je porte en mon âme. Les épines sanglantes
Laissent tomber les gouttes de ma mélancolie.

Ainsi je vais, aveugle et fou, par ce monde amer ;
Parfois le chemin me semble interminable,
Et parfois si court…

Et dans ce vacillement entre courage et agonie,
Je porte le fardeau de peines que je supporte à peine.
N’entends-tu pas tomber mes gouttes de mélancolie ?
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Melancolía

Hermano, tú que tienes la luz, dime la mía.
Soy como un ciego. Voy sin rumbo y ando a tientas.
Voy bajo tempestades y tormentas,1
ciego de ensueño y loco de armonía.

Ese es mi mal. Soñar. La poesía
es la camisa férrea de mil puntas cruentas2
que llevo sobre el alma. Las espinas sangrientas
dejan caer las gotas de mi melancolía.

Y así voy, ciego y loco, por este mundo amargo;
a veces me parece que el camino es m uy largo,
y a veces que es muy corto…

Y en este titubeo de aliento y agonía,
cargo lleno de penas lo que apenas soporto.
¿No oyes caer las gotas de mi melancolía?
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Rubén Darío – (Nicaragua)

Azul, traduction de Jean-Luc Lacarrière, José Corti, 2012, p. 249