J’écris

 

Amina Saïd

[column-half-1]
j’écris
parce qu’il y a la nuit le jour
l’aube le crépuscule l’ombre et la lumière
et qu’il y aura toujours des saisons pour le rêve
j’écris parce qu’à l’origine
est cette planète qui nous accueille
j’écris parce que la houle au cœur
je n’ai jamais oublié le rythme de la mer
j’écris aussi par amour et pour le lieu secret qui nous hante
le poème est rituel de lumière
j’écris pour trouver des raisons à notre présence à nos actes
j’écris contre l’absurde
et parce qu’il y a le mot cri dans écrire
j’écris au dos de la mort
j’écris contre le temps qui nous fait nous défait
se crée se recrée
chaque poème est un fil noué à l’arbre de la vie
j’écris parce que j’ai appris à lire le sable et l’eau l’ombre le nuage et le vol des oiseaux
j’écris pour me rattraper au bord du monde reprendre souffle m’arrêter regarder écouter
j’écris comme veille une lampe au revers de la nuit
j’écris sans attendre demain
j’écris parce que le temps dans le poème se vêt d’éternité
chaque poème est prière
j’écris pour sauver les mots vrais
qu’ils gardent le regard clair
les mots qui sur la page
illumineront ceux qui nous viendront aux lèvres
j’écris parce que je suis un passeur de mondes
j’écris parce que des
Chinois nous apprîmes les secrets de l’encre et du papier
j’écris pour combler les trous noirs de chaque jour
j’écris pour savoir pourquoi j’écris
et pour la découverte les tâtonnements
les fulgurances dans le poème
et parce que c’est ma façon d’être libre
chaque poème est un fil noué à l’arbre de la vie
j’écris pour traduire émerveillement stupeur émotion détresse fascination sérénité colère doute indignation tendresse et parce que écrire est
irrépressible
j’écris parce qu’il y a le mot rire dans écrire
j’écris parce que jamais je n’ai pu entendre un discours jusqu’à son terme
j’écris parce que le monde
n’est pas une rumeur derrière la vitre
et que ailleurs tout près
des hommes des femmes des enfants
meurent de la folie des hommes
j’écris parce que nous habitons une seule terre et que le ciel n’est point notre demeure
chaque poème est un fil noué à l’arbre de la vie
[/column-half-1]
[column-half-2]
j’écris pour délivrer mes voix multiples qu’elles soient souffle et source
du fond de ma nuit elles se fraient un chemin jusqu’à l’aube de la page une aile traverse son frémissant silence des jardins se reflètent en ses miroirs bleus
écrire c’est repousser les frontières de l’ombre
la lumière est promesse elle n’a point de visage sinon les traits fuyants de l’amour
j’écris parce que je suis
et pour apprendre à être davantage
j’écris parce que les mots savent caresser l’image de notre rêve et le rêve du rêve
j’écris parce qu’un inconnu un jour commença un poème nos mots sont fragiles et pourtant ils vivent
j’écris parce que j’appartiens à la chaîne des vivants et que nous devons nous en souvenir
chaque poème est un fil noué à l’arbre de la vie
j’écris par respect des éléments les plus sacrés
le feu l’eau le vent
l’astre la pierre l’arbre et la trace
du libre animal
j’écris pour voir au-delà
et déchiffrer les signes de l’univers
j’écris parce que la vie le temps la terre nous sont volés
que la ville est le dernier refuge des oiseaux
j’écris parce que le poète a dit un poème est une épure d’un monde encore à créer
j’écris parce que vivre m’a toujours semblé un chemin en forme de point d’interrogation comprendre pourquoi
chaque poème est un fil noué à l’arbre de la vie
j’écris parce que je pense en images et que écrire c’est aussi agir
j’écris pour me perdre me retrouver me perdre encore
j’écris comme on sourit
comme un naufragé aborde la rive
j’écris parce que poésie et silence sont l’écho et l’œuvre de ma nuit mon authentique langage celui qui résiste aux cendres à l’oubli c’est ainsi
j’écris parce que après l’épreuve de la naissance écrire est l’une des plus hautes preuves d’être
j’écris aussi j’écris toujours
parce que en moi l’enfant n’est pas mort
j’écris parce que le temps dans le poème se vêt d’éternité
chaque poème est un fil noué à l’arbre de la vie
j’écris parce que la liberté est vertige au miroir de l’angoisse
et que dans ce miroir se profile déjà l’image de notre mort
j’écris parce qu’il n’est pour moi nul lieu autre que le lieu du poème
et que funambule sur un rayon de lune j’avance m’y contraint le souffle de l’abîme
j’écris pour faire œuvre de vie
parce que le chant humain est l’arbre qui nous élève et que personne ne peut se passer de ses fruits de lumière
[/column-half-2]

Amina Saïd