Je veux partager le pain des fous

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Je veux partager le pain des fous

Je veux partager le pain des fous,
prendre chaque jour un grand morceau d’horreur
et m’accorder à la cloche de ces cœurs
où niche une colombe
qui y trouve l’infime refuge
d’un désert au-dessus des eaux.
Longtemps j’ai été pierre logeant
au fond des choses.
Mais j’ai entendu la cloche
parler à voix basse de ton mystère,
le mystère des poissons volants.
J’apprendrai à voler, à nager,
je laisserai la pierre parmi les pierres
et la mélancolie dans un lit de nacre ;
mais j’exalterai la colère et la pauvreté.
Mes ailes sont plus anciennes que ta patience,
mes ailes ont volé plus vite que mon courage
pour accepter la folie.
Je veux partager le pain des fous
dans le terrible désert de la colombe
où la cloche divise en trois la grande horreur
pour que triplement sonne ton nom.
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Ich will das Brot mit den Irren teilen

Ich will das Brot mit den Irren teilen,
täglich ein Stück von dem grossen Entsetzen,
auch die Glocke im Herzen,
dort, wo die Taube nistet
und ihre winzige Zuflucht hat
in der Wildnis über den Wassern.
Lange habe ich als Stein gehaust
am Grunde der Dinge.
Aber ich habe die Glocke gehört
leise von deinem Geheimnis reden
in den fliegenden Fischen.
Ich werde fliegen und schwimmen lernen
und das Steinerne unter den Steinen lassen,
die Schwermut betten in Perlmutter,
doch den Zorn und das Elend erheben.
Meine Flügel sind älter als deine Geduld,
meine Flügel flogen dem Mut voraus,
der das Irren auf sich nahm.
Ich will das Brot mit den Irren teilen
dort in der furchtbaren Wildnis der Taube,
wo die Glocke das grosse Entsetzen drittelt
zum dreifachen Laut deines Namens.
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Christine Lavant

(1915-1973)
Fuseau dans la lune (Spindel im Mond, 1959) – Les étoiles de la faim (Orphée/La Différence, 1993) – Traduit de l’allemand par Christine et Nils Gascuel.