je crois
à la vie à la mort
à la grande amour donnée
ou traverséeje crois
à la vraie gravité
à la tendresse impitoyable
je crois
au cœur de la nuit
au cœur de la pluie
je crois qu’il faut mourir
puis vivre
mourir avant de mourir
pour ne plus aimer mourir
je crois à l’entrée en résonance
à l’entrée
en évidence
à la toute transparence
je crois ne rien pouvoir haïr
de ce que j’ai fait
je crois au regard renversé
je crois
que chacun peut sortir vivant d’ici
je crois au rassemblé
à l’ouvert
au levé
au tremblé
au centième de soupir
je crois que tout mot juste
vient de l’intérieur du ciel
et que ce ciel
vrille au plus profond de nous
je crois à la ferveur fluide
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je crois
qu’il faut anéantir
pour magnifier
je crois à Artaud
lorsqu’il faisait l’exposition Van Gogh
au pas de course
pour mieux la regarder
pour mieux la restituer
je crois à Albert Ayler
lorsqu’il joue à l’enterrement de Coltrane
dans une incandescence
réfractée
réfractaire
à l’horizon du déluge
je crois
comme le Conrad du Cœur des ténèbres
qu’il faut avancer
dans sa propre obscurité
pour y voir clair
que le frémissement
ne peut jamais surgir
là où sont la honte
la haine
la peur
je crois à l’opacité solitaire
au pur instant de la nuit noire
pour rencontrer sa vraie blessure
pour écouter sa vraie morsure
je crois à ces chemins
où le corps avance dans l’esprit
où l’on surprend
le bruit de fond des univers
par ces yeux
que la nuit
a pleurés en nous
par ces yeux que la vie
a lavés en nous
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je crois comme Trakl
qu’on peut boire le silence de Dieu
je crois
qu’il faut habiter la lumière
par un long questionnement
sans réponse
je crois à Zoran Music
dessinant ses fagots de cadavres
sur de mauvais papiers
trouvant encore la vie
au fond du désarticulé
au fond de l’incarné
au fond de l’éprouvé
exorciste
vertical
je crois aux cassures de fièvre
aux sursauts de nuit
aux césures de nerf
je crois
qu’il faut prendre appui
sur le vent
s’agenouiller en mer
et se vouer
à l’infini
je crois qu’il faut penser
comme chute une météorite
comme pleure une étoile-mère
qu’il faut saisir
l’intime conscience de son désastre
pour commencer
à vraiment sourire
pour s’aventurer
au plus bleu du bleu
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Zéno Bianu
(né à Paris en 1950) – Infiniment proche – Le désespoir n’existe pas (Poésie/Gallimard, 2016)