Ces choses là

CES CHOSES-LA

Au Vigneron champenois

Lorsque t’entendais parler au village,
Brave homme à la têt’ dur’ comm’ ton sabot,
De l’Action directe et du Sabotage,
Tu restais vitré comme un escargot ;
Calme paysan des coteaux tranquilles,
Au fond d’ta jugeot’ tu pensais comm’ ça :
« C’est des inventions des gâs de la ville
Et, moi, je n’peux pas comprendr’ ces chos’s-là ! »

Si les exploiteurs qui pressur’nt tes frères,
Pauvres ouvriers, pauvres citadins,
Font l’geste d’abattr’ leurs griff’s sur ta terre
Ta vieill’ « comprenoir » se réveill’ soudain :
Paysan, t’es pas si bêt’ qu’on suppose
Ni qu’tu veux l’faire croir’, sacré nom de d’la !
Si ton intérêt se trouv’ mis en cause
T’as rud’ment vit’ fait d’comprendr’ ces chos’s-là !

Aujourd’hui, voilà c’qui s’pass’ dans la Marne
D’après les dernièr’s nouveil’s des journaux :
Au sac des celliers la foule s’acharne
Brisant les bouteill’s, crevant les tonneaux ;
Les ruisseaux débord’nt de flots de champagne
Et les vign’s avec leurs grands échalas
Sont comm’ des bûchers au coeur des campagnes…
Foutre ! t’as grand’ment compris ces chos’s-là !

Esclav’ des usin’s, esclav’ de la terre,
Les vœux de nos cœurs sont les mêmes vœux :

Tous deux nous souffrons de la mêm’ misère.
Nous avons le même ennemi tous deux !
Paysan, mon vieux, allons, que t’en semble ?
Pour la grande lutt’ qui bientôt viendra,
Donnons-nous la main et marchons ensemble
A présent que t’as compris ces chos’s-là !

Gaston Couté

(Du 12 au 18 avril 1911)