La dernière “oulivado”

 

Tante Anaïs se meurt : à quatre-vingt-cinq ans,
Sa lampe manque d’huile et le grand froid la prend.
À La Lecques, là-bas, au fin fond du pays,
Sur la terre courbée, elle a passé sa vie.
C’est un endroit perdu : il y vient peu de monde,
Hormis les braconniers, car le gibier abonde.
(En Provençal, d’ailleurs, “leco” signifie piège !)
La terre y est aride, où vient le chêne liège.
Quelques coins défrichés, d’oliviers sont plantés,
Avec maigre culture entre eux intercalée.
Le meilleur revenu, on l’attend des olives,
Mais, si l’humeur du ciel, pour une année, en prive,
C’est un peu d’huile en moins pour le plat de pois-chiches :
Pas d’espoir qu’à La Lecque on finisse bien riche…
Et maintenant, voilà ! Tante Anaïs s’éteint :
Inconsciente, elle est là au terme du chemin.
D’une vie de labeur, on se dit : “c’est la fin !”
Non ! Ce n’est pas encore le repos pour demain…
Car la cousine Andrée, assise auprès du lit,
Ne quittant pas des yeux le visage pâli
Qu’abandonne la vie, surprise et intriguée,
Remarque maintenant le geste fatigué
Qu’avec deux doigts gercés répète la mourante :
Avançant devant elle une main hésitante,
Sur le drap, doucement, elle prend quelque chose
Et, inlassablement, juste à côté le pose.
Compte-t-elle des sous ? Elle n’en avait guère…
Des lentilles, peut-être, extrait-elle les pierres ?…
Et cousine se dit : « Mais que fait-elle ainsi,
Qui préoccupe encor son esprit engourdi ? »
Pouvait-elle savoir que, sur son lit de mort,
Comme au long de sa vie, Tante Anaïs, encor,
Ferait “les oulivados*” et que, peut-être, au ciel
Elle les continue dans les champs éternels.

Georges Martin

* “Oulivado”, en Provençal : cueillette des olives.