Noces océanes

A mon ami D. Cassius … Il sait pourquoi

Noces océanes

Je suis le rescapé des océans extrêmes,
L’Ulysse aux mille vents contraires,
Vieux loup de mer encore réinventé

Souffrant d’un mal
Que les marins nomment la Solitude
Je pleure les Ondines et les Circés anciennes.

Perdu dans l’absolu des vagues monotones
Au pire de mes ivresses je les implore
C’est ainsi qu’à chaque nuit je survis

Je suis l’hirsute lassé des longs voyages
Le brûlé l’étonné heurtant le bastingage
Qui les mains en porte voix apostrophe l’espérance

Je te reconnais, l’Ondine, mon sortilège
Sublime absente de ma jouvence
Tu ne m’échapperas plus ainsi qu’à ma vigie
Considère la voile en berne
Et toi Circé vois la quille immergée dans sa simplicité
Et mon regard plongeant vers tes noires profondeurs ainsi qu’un suicidant

Passe minuit l’obscur, inlassable je reprends mon antienne …
M’as tu bien entendu ma sœur en la mer
As tu pu recueillir le signal fossile
De la plainte éternelle qui est aussi la mienne
Me ramèneras – tu confié jadis aux flux dociles
Le flacon imprégné avec son poème ivre ?

Alors reviendrais – tu m’en souffler les strophes maladives
Alourdies du linceul d’un soir triste à mourir
M’en murmurer les mots venus du fond des siècles
Ces mots gris jetés et par toi repêchés
Sinon me rendras – tu le poème afin que je le brûle
Pour en laisser les cendres voler vers l’infini ?

Toi l’amer, fanal humide de mes nuits pâles
Sirène aux hymnes sauvés des eaux
Dont les chants désirants ressuscitèrent mes aubes
De ton corps mouvant lance tes tentacules
S’il n’est pas trop tard arraisonne ma carène malade
Et colmate de tes baumes mon étrave poreuse

Et commence par déposer sur la proue un baiser.

Te souvient – il des escales
De nos ports dangereux ?
Ah je me rappelle nos odyssées
Et crains les Charybde et les Scylla encore.
Je revis les folies de tous mes abordages
Leurs survivants et les cadavres
Souris aux plages ensoleillées peuplées de Nausicaa
Revois nos péninsules exquises
Les ancrages les mouillages les havres
Et sous la caresse du lotus, cerné d’algues
Naufragé lascif je rêve à nos repos d’antan

Mon bateau périmé, et moi son capitaine errant
Nous connûmes bien des Antilles bien des Marquises !

O celle en qui je crois encore
Ne renonce pas à nos saisons anciennes
Revivons le ravissement des lagunes aux vivantes écumes
Le crissement des sables et leurs velours.
Enivrés de pluies d’or ainsi que de vapeurs
Nos mains nouées guettons comme naguère
L’éclosion des étoiles incubées dans tes nuées
Les frises et leurs coulées qui épuisent les vagues
Admirons les falaises explorons les grottes et les passages secrets …

Et voilà mon navire aux voiles qui se tendent
Dans son simple appareil qui prend le large.

Maintenant que promesse cajole les paresses,
Alors se veloutent et se lovent les voiles
Leurs cordes musiciennes épousent les formes variées des ondes
Dans leurs ventres la houle se fait mousse
Aux quatre vents les embruns s’éparpillent
Une brise libertine nous entraîne aux confins de vastes étendues.
La voilure est frivole, elle tête l’écume comme de sa nourrice
L’enfant hume et grignote les délices
Qui n’en finissent de fondre.
Notre temps a tout son temps.

Et voilà le navire aux toiles qui se bordent
Dans son simple appareil prenant le large

Mais advient que le temps n’a plus guère le temps
Le nord s’enfuie s’affole la boussole
Et bouillonnent les eaux
Amers gommés fanaux soufflés et pire
La voilure qui se déchire en une transe pacifique.
Tangue tourne le navire et bouscule et bascule dans les abysses océanes,
Chavire
Et sombre son capitaine
Comme un homme qui en l’origine du monde s’immole.
S’échappant des orgues d’une cathédrale engloutie
Un accord immense
Surgi des profondeurs éclate
Ainsi qu’à la bataille le cri du stentor militaire.

Autour de l’oriflamme en liesse du navire qui danse
Tournoient en désordre les ailes du désir de mouettes en folie
Dont les cris perçants raniment ma conscience
La houle clapote en une douce ivresse
Ressac se reposant après les alizés
Très loin on dirait une terre
Serait – ce peut-être
Ithaque ?

Engendrée d’une ordalie complice
Une forme ballottée dans l’ombre de mes songes
Perfore les vagues obsédantes

Enfin te voici !
La prière oui soudain devient chair
Mais c’est l’aube claire et la vie qui vont bientôt renaître

Et sur ton front mouillé mon baiser se dépose.

Jean-Louis Demarquez