Légendaire chaque jour – extraits

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des cheveux tremblent sur des pierres
je vois les confondus en terre
les gestes creux
les ventres de la vie
dans un sol où se fondent des os
une terre écorchée de légende
les cris de ces yeux
gouttent sur l’herbe
je plonge mes bras dans le vivier
des morts***tous ces corps déversés
sont une pluie tarie
la peau des cris est une plaie
près de leur bouche
et mes yeux de jeunesse
une mer ensemencée
de ces cheveux collés

***

les mots me vieillissent ou me font jaillir
ils me mêlent aux autres
ils liment nos solitudes
pour nous rejoindre

***

on n’a pas fini de naître
on crie en sursis
les lèvres suspendues
à des mots qui ne sont pas dits

***

je rouvre les doigts de mon enfance
sur des yeux couverts de cris
le bonheur a peu de place
le soleil mange des larmes
le jour cache sa vermine
dans mes paumes je vois
ceux qui comptent leur vie

***

je vois
les lèvres écrasées des mains
les morfondus leurs supplices
sur le dos
leurs sourires sont des bêtes
qui se retournent dans leur gorge
l’exode est un arbre brûlé fuir

***

je marche mon exode
il n’y a plus de chants
je ne demande plus rien
je suis la plaie où les mensonges brûlent
c’est sous ma peau que remue le monde
la peur tremble embourbée
on avance
je marche derrière ma vie
comme un esclave
je ne supporte pas
le spectacle de mon visage

***

fuir
de tout mon visage
fuir
vivre
la terre lourde de cris
emplit mes oreilles mes mains
comme un sommeil
où est ma sagesse
on pouvait boire dans ma joie pour un désert
le mur de mes amours
ne me protège plus
immobile dans le désordre de ma peur
je tends mes douleurs
j’émigre mes tortures
je suis lui et lui elle et lui

***
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je montre mes mains de paix
j’ai perdu le compte des douleurs
les cris sont une mère
les morts n’ont pas besoin de draps
je palpe la vie
de mon rire
le soleil
colle les mouches sur ma peau
les gestes de ma misère
pressent ma peur
contre ma peau
le visage de la guerre
a pris la forme de mes os

***

les hommes ressemblent à leurs fables
ils ont l’uniforme des victimes
la lumière est la complice de leur faim
quand ils reçoivent le soleil

***

je nuage je voyage
l’air et moi
nous ne faisons qu’un
le temps est dans ma main
pour pouvoir te tenir
contre nous
serrés sur moi
ton visage mon jour ma nuit

13 juin 2008
.

je ne sais pas comment je fais
toute cette foule entre en moi
et tous ces visages
sont une part de moi
je m’émerveille
de tant aller de toutes les couleurs
et de me retrouver
moi en eux et eux en moi
nous marchons marchons ensemble

15 juin 2008
.

les inconnus qui me traversent
me sont connus
ceux que j’aime ont de l’inconnu
mon inconnu
et ils ne cessent
d’aller en moi
j’en suis dans tous les sens

7-10 octobre 2008
.

on marche
sur une écriture qui n’en finit pas
mais je ne sais pas lire
ce qui est écrit

30 octobre 2008
.

nous répondons
ne sachant pas si la question pour laquelle nous sommes debout
vient des années passées ou de celles
que nous ne connaissons pas
le pain la table sont les témoins
qui signent aujourd’hui
parce que nous tournons dans le visage l’un de l’autre
comme l’abeille et la fleur
et que l’espace autour de nous
répond même
avant la question
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Henri Meschonnic

Légendaire chaque jour, Gallimard, 1979