Et le lieu
était eau
Poisson
plume
crue
vase des nymphéas
Ma vie
dans les feuilles et sur l’eau
Ma mère et moi
nées
des marais et marécages et vouées
à l’eau
Mon père
à travers la brume des étangs
pagaya
depuis les hautes terres
vit son visage
à l’orgue
bravant le poids des eaux du lac
et le froid –
il pêchait à la senne la carpe à vendre
afin que leur fille
gagne les hauteurs
pour apprendre
Vit sa femme devenir
sourde
et distante
Elle
qui connaissait canots
et cordes
ne jouait plus
Elle l’aidait à étendre les filets
à poisser
Et savait tirer
Il fut net
avec l’homme
qui vola ses vairons
une nuit et le lendemain offrit
de les lui revendre
Il rapportait un sac
de pousses de pissenlit
sans crue
Pas d’oranges – aucune sous la main
Pas de soucis d’eau
où l’eau montait
Il nous maintenait à flot
Je pleure qu’elle n’entende les fuligules
le fracas de leur envol
sur l’eau
Qu’elle n’entende les marouettes
de Caroline doux
cancan sanglot en cascade
verre d’eau carillonnant sous la cuiller
Gloussait-elle
gamine ?
Son esquif frôlait
le céleri involucré maintenant chassé
de ces cours
par les carpes
Il savait que les lentilles d’eaux
migrent à l’automne
vers le fond du Lac de Vase
Savait ce qu’il y avait
sous la pourriture des feuilles
et sur les potamots nageants
avant la rumeur de l’été
Toujours au rendez-vous :
de nouvelles feuilles
de nouvelles feuilles
mortes
Il ne pouvait
– comme les notonectes –
arpenter la tension de surface
Dans ses filets
la solitude
Quant à sa belle voiture neuve
ma mère – sa maison
à côté de la sienne – déclara :
un oiseau-mouche
ne hale rien
À l’ancre ici
dans les hauts et les fonds
de l’existence –
les nuits à mi-vie
il veillait
ses souliers de côté
dans son fauteuil à bascule
Entravé plus qu’« envoûté par
les boucles
de ses cheveux »
Je vécus dans le vert
glissant et versant
d’onde et d’ombre
Enfance – à patauger
à travers les herbes
Érables pour se balancer
Mini glissando
sublime
chanson
de limon
Grandis en parcourant la rivière
Livres
à l’amarrage
Shelley barrait
en lisant
J’étais le pluvier solitaire
un crayon
en guise d’os d’aile
Loin de ces notes secrètes
je devais verser
contre la pression
exécuter et ajuster
En nous le rythme de l’air marin
« Nous vivons au gré de la vague impérieuse
du vers »
Sept ans de mue
pour l’oiseau solitaire
et si jeune
Sept ans la même
robe
pour la ville chaque semaine
Une pour la maison
rayures bleues passées
comme elle poussait
son cri flûté
Des terrains de danse
nous n’en avions pas
les bécasses en avaient –
autour un air
d’arrière-pays
Solennités
comme quelle fleur
apporter
sur la tombe de grand-père
à moins que
des nénuphars –
lui qui saluait
l’herbe qu’il fauchait
L’iris pousse maintenant
sur le remblais
pour les deux
et pour lui
où ils reposent
En quoi suis-je moins
Dans le noir qu’eux ?
L’effort était en nous
avant les religions
au fond de la mare
Toutes choses vont vers
la lumière
sauf celles
qui sombrent sans entraves
vers les profondeurs noires de l’océan
En nous une pulsion teste
l’inconnu
La rivière monte – crue
À présent fonds et quitte la maison
Reviens – balai mouillé
naturellement mouillé
Sous
un tapis détrempé
notonectes écloses
aucun serpent dans la maison
Où étaient-ils ?
elle
qui savait comment nettoyer
après les crues
lui qui écopait les bateaux, les maisons
L’eau nous fait don de
sols gondolés
Toi dont les veines sont parcourues
d’eau de mer assieds-toi dans l’eau
Attends que la véronique
bleue à longue tige se
renouvelle
Ô ma vie flottante
Ne réserve pas d’amour
pour les choses
Jette les choses
À l’eau en crue
ruinée
par la crue
Laisse les nouveautés sur l’étal –
toutes identiques à la fin –
eau
je possédais
Le verbe haut :
Le garçon mon ami
jouait de son violon
dans la grande salle
Sur ce cours
ma mémoire de nuit de lune
lavée d’épreuves
manœuvre des barges
par la bouche
de la rivière
Pêcheurs en beauté
Il n’en fut pas toujours ainsi
En Poissons
Mars rouge
Ascendant
Arpente les paludes et les écluses
de mon esprit
avec les personnes
au bord
Lorine Niedecker
traduit de l’américain par Abigail lang
La traduction de ce poème a été initiée au cours d’un atelier avec le DESS de traduction littéraire de Paris 7, promotion 05-06.
Merci à C. Buchbinder, E.Casse-Castric, Y. Gentric, A. Guitton, S. Gurcel, M. Koeltz, O. Marquet, L.Martein, I. Offermans, N. Porret-Blanc, M. Richet, M. Tillay, H. Valance, G.Viennot.