La caresse perdue

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La caricia perdida

Se me va de los dedos la caricia sin causa,
se me va de los dedos… En el viento, al pasar,
la caricia que vaga sin destino ni objeto,
la caricia perdida ¿quién la recogerá?

Pude amar esta noche con piedad infinita,
pude amar al primero que acertara a llegar.
Nadie llega. Están solos los floridos senderos.
La caricia perdida, rodará… rodará…

Si en los ojos te besan esta noche, viajero,
si estremece las ramas un dulce suspirar,
si te oprime los dedos una mano pequeña
que te toma y te deja, que te logra y se va.

Si no ves esa mano, ni esa boca que besa,
si es el aire quien teje la ilusión de besar,
oh, viajero, que tienes como el cielo los ojos,
en el viento fundida, ¿me reconocerás?

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La caresse perdue

Une caresse s’échappe de mes doigts
Et s’en va rouler dans le vent.
Cette caresse qui vagabonde, sans objet ni but
Cette caresse perdue, qui s’en emparera ?

J’aurais pu aimer cette nuit avec une piété infinie,
J’aurais pu aimer le premier qui se serait approché.
Personne ne vient. Les sentiers fleuris sont déserts.
La caresse perdue roulera… roulera.

Si quelqu’un t’embrasse cette nuit sur les yeux, voyageur,
Si les branches exhalent un doux soupir
Si une petite main serre tes doigts,
t’étreint, te laisse, te resserre et s’en va.

Si tu ne vois pas cette main, ni la bouche qui embrasse
Si c’est l’air qui tisse l’illusion d’embrasser,
Oh voyageur, qui a les yeux comme le ciel
Dans le vent, confondue, me reconnaîtras-tu ?

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Alfonsina Storni (Argentine)

(1892-1938) – Languidez (1920)