Poésie, pour quoi ?

Poésie, pour  quoi ?

Poésie pour 7 jours. Journal.

Lundi
Aujourd’hui prendre avec Francis Ponge “le parti des choses” -le cageot, la cruche, le volet, le savon.” Il y a beaucoup à dire à propos du savon. Exactement tout ce qu’il raconte de lui-même jusqu’à disparition complète, épuisement du sujet. Voilà l’objet qui me convient”.

Mardi
Ce matin, relire les recommandations de René Char – du risque de se perdre à l’invincible et éclatante promesse de demain :
“Le poète recommande : “Penchez-vous, penchez-vous davantage”. Il ne sort pas toujours indemne de sa page, mais comme le pauvre il sait tirer parti de l’éternité d’ une olive.
A chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d’avenir”.

Mercredi ,  Jeudi
Avenir des révolutions ? Les nouvelles du monde – tragiques, sanglantes. Les poings levés, les clameurs qui montent, les hommes contre.
Faut-il encore demander comme Hölderlin : “Pourquoi des poètes en des temps de détresse ?” Poésie et résistance, poésie et vérité, “écriture de contrebande”, écriture qui sonne la diane et décrète l’état de veille, poésie fraternelle et insurgée. Alors aussitôt retentissent d’autres voix, reprises par d’autres encor :
“Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie […]
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Tutoyons-nous son espoir est vivant”.
Voix de Paul Eluard ; voix de René- Guy Cadou qui s’ élève pour les fusillés de Chateaubriant :
“Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
[…]
Parce que le vent est passé là ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.”

Et la voix de Desnos en 42 :

“Or du fond de la nuit nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent”.

Vendredi
“Agé de cent mille ans j’aurais encore la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir”.

Voix de Desnos encore, plus pour longtemps ; il ne reviendra pas de Térezin…

Samedi
“Ecce homo”
“Je n’ai pas vu l’homme circulant dans la plaine et les plateaux de son être intérieur, mais je l’ai vu qui faisait travailler des atomes et de la vapeur d’eau bombardant des fractions d’atomes…
Je n’ai pas entendu le chant de l’homme, le chant de la contemplation des mondes, le chant de la sphère, le chant de l’immensité…”

Alors, tentation de s’enfuir, de s’enfouir ? :
“Emportez-moi dans une caravelle
Dans une vieille et douce caravelle
Dans l’étrave, ou si l’on veut dans l’écume
Et perdez-moi au loin, au loin
Emportez-moi ou plutôt enfouissez-moi”.
“Epreuves, exorcismes” écrit Henri Michaux, “pour tenir en échec les puissances du monde hostile”. Poésie, exorcisme : ” Dans le lieu même de la souffrance et de l’idée fixe on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence unies au martèlement des mots que le mal, progressivement dissous, est remplacé par une boule aérienne et démoniaque, état merveilleux.”

Dimanche
Rouvrir enfin “Une saison en enfer” pour y relire encore cette annonce bouleversante :
“Elle est retrouvée !
Quoi ? L’ éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil”.
En écouter le retentissement dans “Fureur et mystère” :
“Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud !
Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi”.
Rester en attente… “Indépendamment de ce qui arrive, n’ arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique”.

Article écrit par M. Moulia