Correspondance avec deux poètes-voyageurs

Fragments de correspondance avec deux poètes-voyageurs /voyageurs-poètes

A monsieur Blaise Cendrars – Poste restante / Au cœur du monde (faire suivre)

Bien reçu votre message de l’année 1930, en exergue à « Rhum » : « Aux jeunes gens d’aujourd’hui fatigués de la littérature pour leur prouver qu’un roman peut être aussi un acte. »

Pour vous qui êtes parti sur les routes du monde à 15 ans, qui avez parcouru les océans, les routes, les déserts, qui avez tourné sans relâche « dans la cage des méridiens », la poésie fut simultanément acte et aventure fulgurants, dès le début, dès 1912 avec « La prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France ».

« Combien d’existences as-tu vécues ? Une seule ? Alors tu ne connais rien de la vie ». C’est un extrait de la seule page écrite par l’aventurier Jean Galmot que vous citez à la fin de « Rhum » et dont vous venez de raconter l’histoire.

Comment peut-on ensuite accepter d’être « comme un aveugle repu, assis au bord du fleuve » ? Blaise, dis, « emmène-moi au bout du monde. »

 

A  Nicolas Bouvier qui le, 7 juillet 1956, dormit à Takht-e-Djanshid puis fit la route de Yezd du 10 au 12, puis celle de Kerman

Avec Thierry Vernet, « le compagnon intemporel », vous êtes parti en 1955 « sans esprit de retour »… Deux ans de route, de nuits et de jours, de la Yougoslavie à l’Inde –  à bord de la Fiat que vous aviez retapée… Thierry Vernet dessine, vous écrivez,  ce sera « L’usage du monde » en 1963. Frugalité et légèreté, gaieté et courage, fatigue et disponibilité, épure et fraîcheur du regard, élégance fraternelle et sereine d’une esthétique nomade, d’un art d’être au monde, à l’autre et à soi, à la fois ouvert, attentif à la merveille possible.

Poésie vraie et pure de ce récit de voyage, bien avant « Le Dehors et le Dedans », votre unique livre de poésie de 1991 :

« Quand tu savais vivre de peu
La vie t’accompagnait comme un essaim d’ abeilles
Et tu payais sans marchander
Le prix exorbitant de la beauté. »

Nous, on cherche encore le secret de « l’impatience du monde » pour « grandir et déguerpir » et « en avoir le cœur net » à tous les sens du mot.

Monique Moulia