“Celui qui lit accepte l’aventure initiée par les mots d’un autre. C’est la confiance. La fraternité silencieuse.
Et nous sommes en route.
[…] Le poème nous émeut. L’émotion, cette force vive.
Celle qui, au sens étymologique du terme, nous met en mouvement.
Nous l’accueillons. Nous la réfléchissons. Dans le silence que génèrent les mots du poème, quelque chose a lieu. Au plus profond de nous.
De ces plongées nos vies sortent changées.
Comment penser qu’un mot peut changer une vie ?
Il faut imaginer.
Il n’y a pire fou que celui qui n’imagine pas.
Celui qui conduit à la mort des cortèges d’êtres humains parce qu’il en a reçu l’ordre. Celui qui peut ouvrir et fermer la porte d’une chambre à gaz.
Celui qui appuie sur le bouton qui envoie le missile. Celui qui appuie le canon sur la tempe de l’autre.
Tous ceux-là n’imaginent pas.
[…]
Alors plus que jamais, le poème a sa place.
Parce que nos vies, mouvantes dans le temps, éphémères et fragiles, valent leur poème. Chacune.
[…]
Quand on est capable d’être ému, d’imaginer, de créer la vision d’autre chose que ce qui est, alors on a un levier formidable pour rester vif. Libre, gratuit, secret, ce levier a toujours fait frémir les pouvoirs .
Parce qu’une émotion réfléchie crée de la pensée.
Alors que les émotions dont on nous mitraille aux actualités télévisées ou ailleurs sans leur donner aucune chance d’être réfléchies, loin de nous mettre en mouvement, nous pétrifient, au sens propre, nous médusent.
Le poème est mouvement.
C’est pour moi une façon d’être.
À l’intérieur de nous, notre langue singulière. Celle qu’aucune école n’apprend. Celle qu’il nous faut forger nous-mêmes de bribes et de souffles retenus, de paroles entendues, lues, rêvées, de sons qui ont creusé chemin jusqu’au plus profond de nous et qu’un jour nous retrouvons. C’est notre langue. C’est notre monde. Et il faut parfois bien de l’audace pour oser s’y rendre, tenter cette insurrection solitaire et fertile. ”
Jeanne Benameur
Notre nom est une île, Éditions Bruno Doucey