L’âge de raison

Dédouble tes jours
Dédouble tes pas
Soit à la source de ton élan

Écrire avec le langage des veines et du corps

Écrire pour quelque chose, pour quelqu’un, pour rien

Écrire pour aller vers ce rien
Tentation de corriger le vide de soi, de l’autre

Écrire comme si l’on plantait des pierres
à la place des mots
Puissent les mots devenir palpables
charnels
comme deux corps sous un drap

Être en dedans des choses
jamais à côté
encore moins en face

Être dedans
n’est-ce pas s’incarner dans l’illusion
ou à l’envers de soi ?

Être la cible, pas le tireur
être au-delà d’hier pour apprécier le moment présent
être à l’égal de la vie
pour mordre pleinement dans la poitrine du temps

J’ai vu un jour lancé
tout seul
planté sur la chaussée des hommes
Ce jour m’a fait avancer là-bas vers mon désert
C’est ainsi que je dédouble la page, le blanc
et incrimine la timidité de l’horizon d’ici
car les salauds ont, eux aussi, le droit aux funérailles

j’ai tutoyé le regret
j’ai connu le bourreau
Aujourd’hui la vie s’essouffle dans ce qui est absent

Oui
il faut enraciner l’écriture
déplacer le sens
l’éclabousser
s’acharner contre l’invisibilité
Les morts tombent loin… là-bas…
au-dessus de ma table

Mon aube tournée vers l’aube de l’autre
cet enfant palestinien
givré dans la morgue de l’écran

Ne faut-il pas dépeupler notre planète
de ceux qui assassinent
foudroyer la croyance
quand il s’agit de liberté ?

Dicter la lumière
changer d’altitude, le sacré
marcher et tomber
mais faire barrage contre la mort
l’ordre mondial, la programmation
nourrir l’homme sans projet

Mourir sans balle, sans blessure
faire comprendre que l’obstacle est en soi
et que la pesanteur n’y est pour rien

Surprendre le futur, l’immensité, les langages
Épingler les mots avec les dents hors le livre
et conjuguer la conscience, le savoir

Si la jouissance d’un tyran t’épuise
ne donne aucune chance à l’écho
de modifier ta voix

Ne contemple jamais une tempête
qui engloutit les hommes
sois dans la tornade

Le désespoir affronte toujours l’homme dispersé

En moi s’élève soudain un désert vagabond
un crépuscule opaque
et pourtant mon unique mesure est l’amour

L’avenir est un mensonge
quand les victimes n’ont plus assez de sang
pour étancher les assassins

Mon époque a le cynisme à fleur de peau

L’oubli, déjà…
vaut l’âge de raison

Oui mon amour
le marin découvre sa lumière
comme le rêve son ombre
et parce qu’il n’y a plus d’harmonie sans nouveauté
es-tu mon allié au débordement de l’aube ?

Salah Al Hamdani
Bagdad mon amour,
Ed. Le Temps des Cerises, mai 2014

Une réflexion sur « L’âge de raison »

  1. Merci à Salah …

    Bob Dylan dit dans une de ses chansons :
    She was busy dying

    Est ce que les Hommes sont effectivement occupés à mourir ?

    C’est vrai que ” le désespoir affronte toujours l’homme dispersé “.
    La poésie rassemblerait – elle ?

    Il n’est peut- être pas encore présent , le temps où les mots auront le pouvoir de désarmer les tyrans et autres criminels .
    Je
    Ne
    Connais
    Pas
    De
    Poètes tueur.

    Et rien ne nous empêche d’essayer encore et toujours de pacifier et d’arracher la joie .

    Ainsi chanter L’hymne à la Joie
    Rendre les armes mais ne jamais baisser la garde .

    Résister
    Y jamas renunciaremos .

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