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Il y a des jardins qui n’ont plus de pays

Il y a des jardins qui n’ont plus de pays

Il y a des jardins qui n’ont plus de pays
Et qui sont seuls avec l’eau
Des colombes les traversent bleues et sans nids

Mais la lune est un cristal de bonheur
Et l’enfant se souvient d’un grand désordre clair

*

À ceux qui partent pour oublier leur maison
Et le mur familier aux ombres
J’annonce la plaine et les eaux rouillées
Et la grande Bible des pierres

Ils ne connaîtront pas
— À part le fer et le jasmin des formes
La Nuit heureuse de transporter les mondes
L’âge dans le repos comme une sève

Pour eux nul chant
Mais la rosée brûlante de la mer
Mais la tristesse éternelle des sources

Nous reviendrons corps de cendre ou rosiers
Avec l’œil cet animal charmant
Ô colombe
Près des puits de bronze où de lointains
Soleils sont couchés

Puis nous reprendrons notre courbe et nos pas
Sous les fontaines sans eau de la lune
Ô colombe
Là où les grandes solitudes mangent la pierre

Les nuits et les jours perdent leurs ombres par milliers
Le Temps est innocent des choses
Ô colomb
Tout passe comme si j’étais l’oiseau immobile

*

Vous ne retrouverez pas la paix du Royaume
Ni les pâturages au bord d’une lance
— À peine les battements de fer
A peine l’ange et l’hiver
Sur la passion chrétienne des barques

Les épis s’accrochent et laissent du sang dans le soir

*

De l’automne jauni qui tremble dans le bois dételé
Il demeure une étrange mélancolie
Comme ces chaînes qui ne sont ni pour le corps ni pour l’âme
Ô saison les puits n’ont pas encore déserté votre grâce
Ce soir nous avançons dans vos feuilles qui passent
Près d’une cascade de triste folie
Et voici dans un nuage de grande transparence
L’étoile comme une étincelle de faim

*

Quand je serai au plus loin de la terre
— O branches tordues comme nos corps
Rappelle-toi
La patience sereine de mes soupirs
J’avais dit :
Elle est dans les rochers plus fraîche
Que les oiseaux
Mais je sais que tu es pauvre comme les prières

*

Ma mère voici les armes de mon tombeau
Ses cheveux sont trop clairs pour ma passion
Revenez revenez hirondelle
Doux chant sans visage
Son pied est pensif ainsi qu’une chaîne d’esclave
Aucune voix de renne n’affaiblira l’été
Moi sans bâton ni route
Je marche derrière les grands paradis
Mais la rose parle dans la maison
La sueur est violette aux tempes de l’amour
Sainte Vierge de ma passion

Georges Shehadé
Les Poésies