Ruines

Quelquefois je suis plein de grandes voix anciennes,
Et je revis un peu l’enfance en la villa ;
Je me retrouve encore avec ce qui fut là
Quand le soir nous jetait de l’or par les persiennes.

Et dans mon âme alors soudain je vois groupées
Mes sœurs à cheveux blonds jouant près des vieux feux ;
Autour d’elles le chat rôde, le dos frileux,
Les regardant vêtir, étonné, leurs poupées.

Ah ! la sérénité des jours à jamais beaux
Dont sont morts à jamais les radieux flambeaux,
Qui ne brilleront plus qu’en flammes chimériques :

Puisque tout est défunt, enclos dans le cercueil,
Puisque, sous les outils des noirs maçons du Deuil,
S’écroulent nos bonheurs comme des murs de briques !

Emile Nelligan