Je vous donne l’humble trésor

Je vous donne l’humble trésor de mon passé,
Les larmes d’un enfant que chaque heure a blessé.
Voici les jours sans joie et les grises journées.
Et les cœurs oubliés, dont chaque destinée
S’est mêlée à la mienne au sortir du collège.
L’éveil tremblant du cœur — l’infini sortilège
Des mots d’amour qu’on dit pour la première fois…
Tout ce que l’on découvre au ombre d’une voix,
Et dans l’ardeur des jeux, la gravité soudaine
D’un front pâle qu’on veut poser, on ne sait où,
Le poids des amitiés et des amours humaines
Et leur premier sanglot silencieux et doux.
Puis ce fut ma sixième année humble et déçue.
Les noms chantaient en moi de villes inconnues.
Parmi l’affairement des bateaux en partance.
Mais, déjà, je savais que notre âme nous suit
Au lumineux pays dont rêva notre enfance.

Que nous portons en nous le silence et la nuit
Sous les deux inconnus, brûlant des paysages,
Aux îles, larges fleurs s’étalant sur les mers —
Que leur soleil torride et que leurs vents amers
Ne peuvent pas sécher les pleurs sur nos visages !

François Mauriac