André Velter

andre-velterPoète, essayiste, chroniqueur et homme de radio français, André Velter est né le 1er février 1945 à Signy-l’Abbaye dans les Ardennes. Multipliant les collaborations avec d’autres artistes, des photographes, des peintres, des musiciens, des chanteurs, des comédiens, des metteurs en scène , il est a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Mallarmé en 1990 et le Goncourt de Poésie en 1996. Il est traduit en une trentaine de langues.

 

L’impromptu de Kairouan

Depuis que les bornes s’estompent une à une,
le temps recule à mesure, s’évade, opère par ruse.
Il sait qu’il n’y a pas d’arrangement possible,
pas même un pacte de non-agression.
Il gagnera la partie

sans que j’entre dans son jeu.

Les cartes routières sentent le roussi
et ce relent de diesel éternel
par les bas-côtés de l’existence.
Plutôt qu’un sauf-conduit,
c’est une survivance qui se déplie
sur la cartographie de nos mains,
sur le dos piqueté de nos poings.

Ailleurs est dans le sac,
et la cause n’est pas commune.

Le cœur manque à chaque bivouac,
comme si la nuit était fragile
et pour le coup, dernière.

Ce qui tangue a ce goût de non-retour
dans le sillage d’une étoile morte.

À quoi bon disait Hölderlin en rêvant au Vésuve
pendant qu’il rabotait des planches chez Zimmer.

Justement, garder d’instinct l’aplomb infinitif,
changer de vocabulaire en changeant
de gandoura, de tchapan, de kourta, de chemise,
jusqu’à se promettre l’harmonie sémantique
des reîtres et des chameliers,
des trafiquants de sel gemme,
des arpenteurs de Grand Jeu.

Ô la rumeur, le babil, les syllabes qui écorchent !
Dans les ruines et l’air noir monte un feu comme une aile.

Je cite et presse le pas, des résonnances
et des silex dans les chaussures,
et toujours l’obsession d’être là,
actuel et sourd à l’actualité,
alerté par un déferlement
de spectres, d’affamés, de revendeurs d’abîmes
qui se veulent arrimés à un dieu monstrueux.

Mais la voix a fait une embardée
au coin d’une rue de Kairouan,
quand Nizar Kabbani, le poète adulé et banni
qui occupait la place du mort dans un taxi
fut pris en chasse
par deux motards de la police
qui n’espéraient qu’une dédicace…

Les yeux à demi clos,
il a signé sans un sourire,
suspendu qu’il était au souvenir ténu
d’une chanson jadis
qui avait fait scandale.
La gloire ne le concernait plus
ni un hommage si incongru.

Je suis descendu de voiture
Ailleurs était dans le sac.

(in Jusqu’au bout de la route, Gallimard 2014.)

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